Voici l'interview de trois membres du groupe "Loened Fall", qui combine kan ha diskan traditionnel et rythmes modernes :
Résonances Celtes : Comment en êtes-vous venus à la musique traditionnelle et au Kan ha Diskan ?
Ronan GUEBLEZ : Comment on va dire ? Je suis bretonnant mais plutôt
du Vannetais, donc le kan ha diskan ce n’est pas mon terroir d’origine. Je
chantais pour le plaisir et vers la fin des années 80 j’ai eu envie de faire du
kan ha diskan. J’ai entendu Marcel Guilloux, Yann Fanch Kemener, et le déclic
est venu avec Eric Marchand. J’ai entendu un CD de gwerz et je me suis dis
« tiens, je me mettrais bien au terroir centre bretagne ». J’ai fait
un stage, je suivais bien donc après j’ai voulu trouver quelqu’un pour chanter
en couple. A la fin des années 90 Denez Prigent cherchait aussi quelqu’un pour
chanter. On a fait un bout d’essai, pas prévu, à un fest deiz, et on a chanté 2
ans ensemble. Ensuite j’ai chanté avec Nolwen Le Buhé, et puis Marthe
Vassallo. Les hauteurs de voix correspondaient parfaitement, et on chante
ensemble depuis juin 1992. Le groupe Loened Fall est venu après. Ce sont les
musiciens qui sont venus nous trouver, surtout la guitare et la bombarde. Au
départ je n’étais pas très chaud parce que j’avais fait des remplacements de
Denez Prigent dans son groupe de l’époque : je pensais que j’allais perdre
les sensations du couple. Mais ce sont d’autres sensations. On perd une certaine
liberté de répertoire, en couple on fait ce qu’on veut, si on veut rajouter des
couplets… A deux, quand l’un chante, l’autre peut lui parler, une fois qu’on a
l’habitude. Parfois on se raconte des blagues, parfois ce sont des indications
pour le chant. Le code de Marcel Guilloux pour dire que ça ne va pas, c’est de
prendre ma chemise dans le dos et de tirer dessus. Là c’est que quelque chose
ne va pas.
Ca fait du bien de rechanter en couple sans musiciens de
temps en temps, pour retrouver les sensations, et c’est plus facile à
sonoriser.
Avant les gens chantaient sans micro, mais dans des pièces
fermées et pour faire danser une quinzaine de personnes. Aujourd’hui on ne
chante plus sans micro.
Ce qui me plait ? Les sensations. Et puis petit, à la
maison, dans les disques de mon père, il y en avait un ou deux de kan ha
diskan. Ca a dû jouer un rôle. Ca m’a beaucoup plu. Mes parents étaient un peu
étonnés, ils chantaient pour leur plaisir, des mélodies, des cantiques, mais
c’était une époque où tout le monde chantait, chantonnait plus ou moins.
Sabine LE COADOU : moi je suis tombée dedans en primaire :
j’ai eu un instituteur qui a créé un bagad à Pommerit le Vicomte. J’ai enchaîné
la flute, la bombarde, en bagad puis en couple avec un biniou kozh, et puis en
fest noz
Marthe VASSALLO: quand j’avais 15 ans, je voyais les gens
chanter et ça avait l’air bien, j’apprenais tout ce qui me plaisait, j’ai eu
envie d’apprendre ça aussi. Ce qui se passe sur scène en fest-noz c’est spécifique,
parce que c’est un type d’énergie propre à cette musique et à cette expression
là. sur scène, c’est
très fort, de l’ordre de l’indicible. C’est propre au fest noz, une circulation
d’énergie en aller retour permanent. L’énergie de base ce sont les gens qui
l’apportent, elle passe à travers nous et on la leur restitue. Il faut qu’on
soit assez solide. Quand les gens sont amorphes, on sort exangues. Il faut de
l’énergie pour faire bouger les gens. Et la force de recevoir cette énergie, de
la canaliser et de la renvoyer. S’ils n’ont pas d’énergie, on ne peut pas. Un
concert c’est différent, les musiciens apportent de l’énergie.
Sabine : on ressent les
réactions des danseurs, si ils nous donnent envie de continuer ou si c’est pas
ça. On peut ressortir vanné. Mais il y a des soirées qui commencent usantes et il suffit de 5 6 individus pour
que ça reparte.
RC : Est-ce que vous avez l’impression de vous inscrire
dans une tradition ?
Ronan: Quand je chante, je n’ai pas l’impression : je suis
avec des gens bien vivants. Mais quand j’entends un enregistrement d’il y a 50
ans, j’ai l’impression de connaître les gens, il y a une proximité, je connais
les sensations qu’ils pouvaient avoir dans le chant.
Les stages, c’est pour communiquer cette techniques, on ne
veut pas être les derniers des mohicans. Marcel Guilloux est un de ceux qui ont
le plus l’obsession de la transmission. Certains bons chanteurs, d’un âge, on
n’arrive même pas à les enregistrer.
Marthe : On tâche de garder le contact, on revient
aux références, on garde le contact avec les maîtres. ON peut essayer de faire
de notre mieux, on ne sait pas la qualité de ce qu’on fait. J’ai le désir de
rester dans cette continuité. Parce que de toutes façons, pour la musique
traditionnelle, tout ce qu’on peut inventer ne sera pas meilleur que ce qu’on a
fait avant. L’évolution se fait toute seule, on n’a pas besoin de forcer, si on
arrive à faire aussi bien que les gens avant nous ce sera déjà pas mal. Ca ça
vaut pour la pratique traditionnelle de base, ça vaut en fest noz parce que la
danse n’a pas besoin de paquet cadeau. Mais dans des démarches plus
personnelles, dans une recherche en tant qu’artiste, on peut tout faire. Pour faire danser une gavotte il n’y a pas
besoin de chercher midi à 14 h.
Sabine : ça ne s’appelle pas musique
« traditionnelle » pour rien. J’ai donné des cours pendant des années. On
espère que quand les gens entendent ils ont envie de s’y mettre, surtout pour
les filles pour qui la bombarde n’est pas forcément un instrument choisi
d’emblée.
RC : Comment vous voyez l’avenir du kan ha diskan et de la musique traditionnelle ?
Ronan: Ca intéresse les gens. L’obstacle c’est surtout la langue.
Et encore moins qu’à une certaine époque : maintenant les gens ont en
général une certaine connaissance du breton, voire il y en a qui le parlent
bien. C’est rare qu’on le restitue bien sans le parler. C’est aussi pour ça que
le chant gallo a un bel avenir en
Bretagne : on peut avoir le plaisir du chant sans l’obstacle de la langue.
Aujourd’hui il y a un paquet de bons couples. Pas autant
qu’il y a de bons couples de sonneurs, mais il y a des jeunes qui chantent
bien. Ce n’est pas quelque chose qui va mourir, ça se maintient bien.
Avec le chant, on peut intérioriser beaucoup. Il y a des
gens qui n’ont jamais pris de cours et qui se mettent à chanter comme ça, et
qui ont un timbre intéressant, qui chantent juste.
Le Breton, je l’ai entendu petit, le kan ha diskan aussi.
Enfant j’écoutais l’émission en breton sur radio rennes, et souvent ils
passaient un enregistrement à la radio.
Je crois que vouloir faire danser les gens ça traduit un
esprit dominateur : on est quand même le patron. Mais quand il y a de bons
danseurs, ils prennent les choses en main, on leur fait pas faire tout ce qu’on
veut. Il arrive que les danseurs mènent les chanteurs.
Les grands événements il en faut quelques uns, même si ce
n’est pas ma tasse de thé. Faire danser 6000 personnes en même temps c’est
intéressant.
Marthe : il y a eu une explosion les 10 dernières
années. Des jeunes chanteurs, des gens qui font comme j’ai fait : ils
entendent et ils s’y mettent.
Sabine : C’est pareil pour la bombarde, en plus il y
eu une multiplication d’écoles de musique traditionnelle
Marthe : ce n’est pas une mode en soi : la mode
offre une occasion, ça permet à plein de gens de s’exprimer, mais pour
apprendre à chanter ou sonner correctement, c’est un engagement. IL y en a qui
essaient et qui ne vont pas plus loin.
Sabine : les ¾ des sonneurs adorent cette musique là,
ils sont tombés dedans quand ils étaient petits, ou ils connaissent des
musiciens, et ça s’enchaîne.
RC : et le groupe Loened Fall, qui mélange tradition et modernité ?
Marthe : je n’ai pas cherché ça, mais c’est vrai que
pour beaucoup de public, le chant en couple est plus difficile d’accès plus
ardu et qu’ils apprécient plus les mêmes en groupes. Ca me navre de voir une
salle qui se vide après un groupe quand un couple arrive.
Août 2006